Conditions d’application de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’Etat
(Arrêts du conseil d’Etat du 19 juillet 2011)
Le Conseil d’Etat vient d’apporter d’importantes précisions sur la manière dont il convient d’interpréter les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat.
Dans les cinq affaires qui lui ont été soumises, la Haute juridiction admet la possibilité pour une collectivité publique de prendre part ou de participer financièrement à un projet impliquant un édifice ou une pratique cultuelle. Toutefois, pour être légale, l’intervention de la collectivité doit être justifiée par un intérêt public local et respecter un certain nombre de conditions.
Après avoir présenté les différents principes qui se dégagent des arrêts rendus par le Conseil d’Etat, nous reviendrons sur les circonstances particulières propres à chaque affaire.
Nous vous signalons également la mise à jour de la circulaire relative aux édifices du culte (circulaire NOR : IOC/D/11/21246C du 29 juillet 2011).
Les conditions de la légalité de l’intervention des collectivités territoriales dans le domaine cultuel
En application des articles 1er, 2, 13 et 19 de la loi du 9 décembre 1905, les collectivités publiques peuvent seulement financer les dépenses d’entretien et de conservation des édifices servant à l’exercice public d’un culte dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des Eglises et de l’Etat, ou accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation d’édifices cultuels. Il leur est, en outre, interdit d’apporter une aide à l’exercice d’un culte.
Toutefois, le Conseil d’Etat considère, dans les cinq arrêts qu’il a rendu le 19 juillet 2011, que les dispositions susvisées ne font pas obstacle à ce qu’une collectivité publique :
- participe au financement d’un bien destiné à être installé dans un lieu de culte (en l’occurrence un orgue dans une église), dès lors qu’existe un intérêt public local et qu’un accord encadre l’opération (affaire n° 308544) ;
- attribue une subvention pour la réalisation d’un équipement (en l’espèce un ascenseur) facilitant l’accès des personnes à mobilité réduite à l’édifice cultuel dès lors que l’équipement présente un intérêt public local ; par ailleurs, il doit être garanti, notamment par voie contractuelle, que la subvention accordée n’est pas versée à une association cultuelle et qu’elle est exclusivement affectée au financement du projet (affaire n° 308817) ;
- aménage un équipement permettant l’abattage rituel si un intérêt local le justifie (en l’espèce, respect de l’ordre public, et en particulier de la salubrité et de la santé publiques) et si les conditions d’utilisation de l’équipement respectent le principe de neutralité à l’égard des cultes et le principe d’égalité, et qu’elles excluent toute libéralité (affaire n° 309161) ;
- permette l’utilisation d’un local lui appartenant pour l’exercice d’un culte, si les conditions financières de cette autorisation ne constituent pas une libéralité ; le local ne doit pas être mis à disposition de manière pérenne et exclusive à l’usage du culte (affaire n° 313518) ;
- conclut un bail emphytéotique administratif avec une association cultuelle en vue de la construction d’un édifice cultuel ; la conclusion de ce bail doit avoir pour contreparties le versement d’une redevance modique et l’intégration, à terme, de l’édifice dans son patrimoine (affaire n° 320796).
Le détail sur les décisions rendues
Le financement d’un orgue (Commune de Trézalé, n° 308544)
Par délibérations du 15 octobre 2002, la commune de Trézalé a décidé d’acquérir et de restaurer un orgue pour ensuite l’installer dans l’église communale. Le maire a été autorisé à signer l’acte d’acquisition de cet orgue par délibération du 29 octobre 2002.
Un administré a saisi le juge administratif afin que ces délibérations soient annulées au motif qu’elles méconnaissaient les dispositions de la loi du 9 décembre 1905. Le tribunal administratif de Nantes et la cour administrative d’appel (CAA) de Nantes ont fait droit à cette demande par décisions des 7 octobre 2005 et 24 avril 2007.
Saisi de cette affaire, le Conseil d’Etat devait s’interroger sur le point de savoir si les dispositions de la loi de 1905 faisaient obstacle à ce qu’une collectivité territoriale acquière un bien à double usage cultuel et culturel, et l’installe dans un édifice affecté à l’exercice d’un culte.
Le Conseil d’Etat a ainsi jugé que ces dispositions n’empêche pas une commune qui a acquis, afin notamment de développer l’enseignement artistique et d’organiser des manifestations culturelles dans un but d’intérêt public communal un orgue ou tout autre objet comparable, de convenir avec l’affectataire d’un édifice cultuel dont elle est propriétaire (ou, lorsque cet édifice n’est pas dans son patrimoine, avec son propriétaire), que cet orgue sera installé dans cet édifice et y sera utilisé par elle dans le cadre de sa politique culturelle et éducative et, le cas échéant, par le desservant, pour accompagner l’exercice du culte.
Toutefois, la Haute juridiction subordonne une telle opération :
- à la conclusion d’engagements destinés à garantir une utilisation de l’orgue par la commune conforme à ses besoins ;
- et une participation financière de l’affectataire ou du propriétaire de l’édifice, dont le montant doit être proportionné à l’utilisation qu’il pourra faire de l’orgue afin d’exclure toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte.
Ces engagements, qui peuvent notamment prendre la forme d’une convention, peuvent également comporter des dispositions sur leur actualisation ou leur révision, sur les modalités de règlement d’éventuels différends ainsi que sur les conditions dans lesquelles il peut être mis un terme à leur exécution et, le cas échéant, à l’installation de l’orgue à l’intérieur de l’édifice cultuel.
La réalisation d’un équipement à l’intérieur d’un lieu de culte (Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône et M. Marcel A., n° 308817)
La basilique de Fourvière à Lyon est un monument privé, détenue et gérée par la Fondation Fourvière, et reconnue comme établissement d’utilité publique.
Par délibération du 25 avril 2000, le conseil municipal a attribué une subvention à cette Fondation afin de contribuer à la réalisation d’un ascenseur destiné à faciliter l’accès des personnes à mobilité réduite à la basilique. Cet équipement devait ainsi permettre d’accéder à l’édifice, sans avoir à utiliser un escalier particulièrement pentu.
La Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône et M. Marcel A. ont demandé l’annulation de cette délibération au motif qu’elle méconnaissait le principe de l’interdiction des aides aux cultes posé par la loi du 9 décembre 1905. Les requérants ont été débouté en première instance comme en appel (TA Lyon du 5 novembre 2007 et CAA Lyon du 26 juin 2007). Ils se sont alors pourvus en cassation.
La question posée par cette affaire portait sur le point de savoir si les dispositions de la loi de 1905 s’oppose à ce qu’une collectivité territoriale prenne en charge tout ou partie des dépenses de réalisation d’un équipement ou d’un aménagement en rapport avec un édifice affecté à l’usage du culte.
Selon le Conseil d’Etat, les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 ne font pas obstacle à ce qu’une collectivité territoriale finance des travaux qui ne sont pas des travaux d’entretien ou de conservation d’un édifice cultuel, soit en les prenant en tout ou partie en charge en qualité de propriétaire de l’édifice, soit en accordant une subvention lorsque l’édifice n’est pas sa propriété, en vue de la réalisation d’un équipement ou d’un aménagement, à condition toutefois :
- en premier lieu, que cet équipement ou cet aménagement présente un intérêt public local, lié notamment à l’importance de l’édifice pour le rayonnement culturel ou le développement touristique et économique de son territoire et qu’il ne soit pas destiné à l’exercice du culte ;
- et, en second lieu, lorsque la collectivité accorde une subvention pour le financement des travaux, que soit garanti, notamment par voie contractuelle, que cette participation n’est pas versée à une association cultuelle et qu’elle est exclusivement affectée au financement du projet.
L’aménagement d’un abattoir local temporaire rituel (Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n° 309161)
Par délibération d’octobre 2003, le conseil de la communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole a décidé l’aménagement de locaux désaffectés en vue d’obtenir l’agrément sanitaire pour un abattoir local temporaire destiné à fonctionner essentiellement pendant les trois jours de la fête de l’Aïd-el-Kébir. A cette fin, le conseil communautaire a autorisé le Président du groupement à engager la passation des marchés publics nécessaires. Une enveloppe budgétaire destinée au financement des travaux a été votée par délibération du 21 octobre 2003.
A la demande d’un contribuable, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette dernière délibération au motif qu’elle avait été prise en méconnaissance de la loi de 1905. Ce jugement ayant été confirmé en appel, la communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, s’est alors pourvue en cassation.
La question qui se posait dans cette affaire était de savoir si une collectivité pouvait légalement aménager un équipement pour permettre l’exercice de pratiques rituelles se rattachant à un culte, tel que l’abattage rituel.
Saisi, de cette question, le Conseil d’Etat a estimé que les dispositions de la loi de 1905 ne faisaient pas obstacle à ce qu’une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales, dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi ou qui sont prévues par ses statuts, construise ou acquière un équipement, ou autorise l’utilisation d’un équipement existant, afin de permettre l’exercice de pratiques à caractère rituel relevant du libre exercice des cultes.
Toutefois, une telle faculté ne peut être légalement mise en œuvre que si deux conditions sont respectées :
- d’abord, un intérêt public local, tenant notamment à la nécessité que les cultes soient exercés dans des conditions conformes aux impératifs de l’ordre public, en particulier de la salubrité et de la santé publiques, doit justifier une telle intervention ;
- ensuite, le droit d’utiliser l’équipement doit être concédé dans des conditions, notamment tarifaires, qui respectent le principe de neutralité à l’égard des cultes et le principe d’égalité et qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte.
La mise à disposition d’une salle polyvalente pour l’exercice d’un culte (Commune de Montpellier, n° 313518)
Par délibération du 28 janvier 2002, le conseil municipal de la Ville de Montpellier a décidé de construire une salle polyvalente, d’inscrire au budget un crédit correspondant au coût de l’opération et d’autoriser le maire à présenter une demande de permis de construire ainsi qu’à signer les marchés publics nécessaires.
Cette salle polyvalente a été mise à la disposition de l’association des Franco-Marocains par convention signée le 2 juillet 2004.
Une demande tendant à l’annulation de la délibération du 28 janvier 2002 a été déposée devant le juge administratif au motif que cette dernière décidait une dépense relative à l’exercice d’un culte. Les juges du fond et d’appel ont fait droit à cette demande (TA Montpellier du 30 juin 2006 et CAA Montpellier du 21 décembre 2007). La commune de Montpellier a formé un pourvoi en cassation.
La question soulevée par cette affaire portait sur le point de savoir dans quelles conditions une collectivité territoriale peut décider de mettre un local à disposition d’une association pour l’exercice d’un culte, sans méconnaître les dispositions de la loi du 9 décembre 1905.
Dans sa décision, le Conseil d’Etat rappelle que les dispositions de l’article L.2144-3 du code général des collectivités territoriales permettent à une commune d’autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, l’utilisation d’un local qui lui appartient pour l’exercice d’un culte par une association, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité, et, par suite, toute aide à un culte. Le juge souligne également qu’une commune ne peut rejeter une demande d’utilisation d’un tel local au seul motif que cette demande lui est adressée par une association dans le but d’exercer un culte.
Enfin, il pose le principe selon lequel les collectivités ne peuvent, sans méconnaître les dispositions de la loi de 1905, décider qu’un local dont elles sont propriétaires sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d’une association pour l’exercice d’un culte et constituera ainsi un édifice cultuel
En l’espèce, la Haute juridiction a censuré l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel en considérant que celle-ci avait commis une erreur de droit en jugeant que la commune de Montpellier avait décidé une dépense relative à l’exercice du culte, alors qu’elle avait elle-même relevé que la délibération attaquée devant elle, avait pour seul objet de réaliser une salle polyvalente et non d’autoriser son utilisation à des fins cultuelles ou de décider qu’elle serait laissée de façon exclusive et pérenne à la disposition d’une association pour l’exercice d’un culte.
La conclusion d’un bail emphytéotique pour la construction d’un édifice cultuel (Mme. Patricia A., n° 320796)
Par délibération du 25 septembre 2003, le conseil municipal de la commune de Montreuil-sous-Bois a approuvé un bail emphytéotique d’une durée de 99 ans à conclure avec la Fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil, moyennant une redevance annuelle d’un euro symbolique, en vue de l’édification d’une mosquée sur un terrain communal, et a autorisé le maire à signer ce contrat.
Rappelons que la conclusion un bail emphytéotique administratif (BEA) en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice de culte ouvert au public, n’est possible que depuis la publication de l’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 et la modification, en ce sens, de l’article L.1311-2 du CGCT.
Un jugement du 12 juin 2007 a fait droit à la demande de Mme. Patricia A., conseillère municipale, tendant à l’annulation de cette délibération. Mais la CAA a annulé cette décision et rejeté la demande de Mme. A, qui s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat.
L’affaire soumise au Conseil d’Etat soulevait donc deux questions :
- la conclusion d’un BEA à objet cultuel était-elle possible avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 21 avril 2006 ?
- comment les dispositions relatives au bail emphytéotique doivent-elles s’articuler avec celles de la loi du 19 décembre 1905 ?
Pour y répondre, le juge a d’abord estimé que l’article L.1311-2 du CGCT a ouvert aux collectivités territoriales la faculté, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, d’autoriser un organisme qui entend construire un édifice du culte ouvert au public à occuper pour une longue durée une dépendance de leur domaine privé ou de leur domaine public, dans le cadre d’un bail emphytéotique administratif et soumis aux conditions particulières posées par l’article L.1311-3 du CGCT. Il considère que le législateur a ainsi permis aux collectivités territoriales de conclure un tel contrat en vue de la construction d’un nouvel édifice cultuel avec pour contreparties :
- d’une part, le versement par l’emphytéote, d’une redevance qui, eu égard à la nature du contrat et au fait que son titulaire n’exerce aucune activité à but lucratif, ne dépasse pas, en principe, un montant modique ;
- d’autre part, l’incorporation dans leur patrimoine, à l’expiration du bail, de l’édifice construit, dont elles n’auront pas supporté les charges de conception, de construction, d’entretien ou de conservation.
Ce faisant, le législateur a dérogé aux dispositions de la loi du 9 décembre 1905. Les règles de cette loi ne sont pas applicables à un litige concernant la conclusion, par une collectivité territoriale, d’un BEA en vue de la construction d’un édifice cultuel ; ce bail doit simplement respecter les conditions régissant ce type de contrat.
Nous vous rappelons que HGI-ATD ne répond qu'aux sollicitations de ses adhérents. Toute demande de documentation, conseil ou assistance ne respectant pas cette condition ne pourra aboutir.




