Comment un élu peut-il bénéficier de la protection fonctionnelle en cas de poursuites pénales?
Cette Fiche technique apporte une réponse à cette question à l’aune d’une décision récente du Conseil constitutionnel.
Les conditions d'attribution de la protection fonctionnelle
Ce sont les dispositions du 2ème alinéa de l’article L.2123-34 du code général des collectivités territoriales (CGCT), qui fixent les conditions d’attribution de la protection fonctionnelle en cas de poursuites pénales.
Elles prévoient ainsi que « la commune est tenue d'accorder sa protection au maire, à l'élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions ».
Une attention particulière doit être portée sur deux points :
▪ D’abord, sur ce qu’il convient d’entendre par « poursuites pénales »
Les poursuites pénales constituent la phase préalable au procès pénal mais interviennent postérieurement aux évènements que sont la plainte et l’enquête de police qui comprend, le cas échéant, la garde à vue.
Ce n’est qu’à la clôture de l’enquête que des poursuites pénales sont engagées ou pas.
A titre d’exemple, une enquête préliminaire, même assortie d’une garde à vue, ne rentre pas dans le champ des poursuites pénales (CE, 15 juillet 2024, n° 490227). La protection fonctionnelle n’est donc pas prévue au titre des mesures prises dans le cadre d’une telle enquête, antérieurement à la mise en mouvement de l’action publique (saisine d’un juge d’instruction, du tribunal, fixation de mesures alternatives par le procureur).
En tout état de cause, la protection en matière d’audition libre, de garde à vue ou de témoin assisté concerne les agents[1], et non les exécutifs locaux (sauf le cas où le maire agirait en qualité d’agent de l’Etat – CE 15 juillet 2024 précité, confirmé par la décision du Conseil constitutionnel n° 2024-1106 QPC du 11 octobre 2024).
▪ Ensuite, sur la notion de « faute détachable »
Le Conseil d’Etat a précisé les trois types de faits susceptibles de constituer une telle faute (CE, 30 décembre 2015, nos 391798 et 391800) :
- les faits qui relèvent des préoccupations d’ordre privé ;
- les faits qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques ;
- les faits qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité.
Il est important de signaler qu’en cas de manquement au devoir de probité (par exemple en cas de favoritisme ou de prise illégale d’intérêts), la collectivité ne peut accorder la protection à l’élu qui la demande car cela s’assimile à une faute personnelle.
De surcroît, le juge judiciaire considère que la protection fonctionnelle octroyée à un élu poursuivi pour ces infractions, peut constituer un détournement de fonds publics (Cass. Crim., 22 février 2012, n° 11-81476 en cas de favoritisme ; Cass. Crim., 8 mars 2023, n° 22-82229 en cas de prise illégale d’intérêts).
La demande de protection fonctionnelle
L’article L.2123-34 précité ne conditionne pas de manière explicite l’octroi de la protection fonctionnelle à une demande préalable de l’élu.
Néanmoins, en pratique, cette demande s’avère nécessaire, ne serait-ce que pour poser le champ de la protection et permettre à l’élu concerné de se prévaloir, le cas échéant, d’un éventuel refus de la collectivité (il ne pourrait en effet pas le faire s’il n’avait pas déposé une demande en ce sens).
Lorsqu’un élu souhaite bénéficier de la protection fonctionnelle, il adresse sa demande au maire. Lorsque c’est le maire qui fait l’objet de poursuites pénales, il doit présenter sa demande à l’élu le suppléant.
Cette demande devra être inscrite à l’ordre du jour du conseil municipal car l’organe délibérant est seul compétent pour accorder la protection fonctionnelle à un élu (CAA Versailles, 20 décembre 2012, n° 11VE02556 : « lorsque la commune est saisie d'une demande de protection sur le fondement des dispositions précitées de l'article L.2123-34 du code général des collectivités territoriales le conseil municipal, organe délibérant de la commune, est seul compétent pour se prononcer sur celle-ci ; que la circonstance qu'il est le seul à pouvoir porter cette demande à l'ordre du jour d'une séance de l'assemblée délibérante ne saurait permettre au maire de faire obstacle à l'exercice d'une compétence qui n'appartient qu'à celle-ci ; qu'il lui revient seulement d'inscrire en temps utile la question à l'ordre du jour du conseil municipal pour que celui-ci en délibère et apprécie si les poursuites pénales en cause sont susceptibles d'obliger la commune à accorder la protection sollicitée »).
L’élu concerné par la demande de protection fonctionnelle ne devra pas prendre part au débat et au vote de la délibération (il devra quitter la salle du conseil), au risque de se trouver en situation de conflit d’intérêts2, ce qui pourrait l’exposer :
- à un risque pénal, puisque le délit de prise illégale d’intérêts pourrait être caractérisé (article 432-12 alinéa 1er du code pénal) ;
- mais aussi à un risque administratif, celui de l’illégalité de la délibération « auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil municipal intéressés à l'affaire qui en fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires » (article L.2131-11 du CGCT).
A noter que si le déport couvre l’élu contre ces risques, il est inopérant s’agissant du détournement de fonds publics (voir en ce sens Cass. Crim. n° 22-82229 susmentionné : « la circonstance que M. [T], qui a sollicité l'octroi de la protection fonctionnelle et a bénéficié des fonds versés par la commune au titre de celle-ci, n'a pas pris part aux délibérations du conseil municipal l'ayant octroyée, n'était pas en soi de nature à exclure l'existence d'indices de la commission par l'intéressé des délits de détournement de fonds public et de recel de cette infraction »).
L'obligation pour la commune de souscrire une garantie dans le contrat d'assurance
Pour finir, il est important de rappeler que l’article L.2123-34 susmentionné, impose à la commune de souscrire, dans un contrat d'assurance, une garantie visant à couvrir le conseil juridique, l'assistance psychologique et les coûts qui résultent de l'obligation de protection à l'égard du maire et des élus susceptibles d’en bénéficier.
Dans les communes de moins de 10 000 habitants, le montant payé par la commune au titre de cette souscription fait l'objet d'une compensation par l'Etat dans les conditions par le biais de la dotation particulière relative aux conditions d’exercice des mandats locaux (dotation particulière « élus locaux » – DPEL) (art. L.2335-1 du CGCT).
Enfin, lorsque le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation, agit en qualité d’agent de l'État (ex. : officier de police judiciaire, officier d’état civil), c’est l'Etat qui est responsable et qui doit donc assurer sa protection (art. L.2123-35 du même code).
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1A noter cependant que les dispositions relatives à l’extension de la protection fonctionnelle aux mesures de garde à vue et de témoin assisté, pour les agents publics, a été jugée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel (décision n° 2024-1106 QPC susmentionnée), mais en l’absence d’une nouvelle loi, leur abrogation est reportée au 1er juillet 2025 (article L.134-4 du code général de la fonction publique).
2 L’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 définit le conflit d’intérêts comme « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».
Le conflit d’intérêts peut exister sans que soit établie la recherche d’avantages indus, ni même la contradiction entre les intérêts en présence. Du seul constat d’une cohabitation des intérêts, et donc d’une apparence d’influence sur la décision prise, découle l’irrégularité.
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