Quelles sont les conditions d'application du sursis à statuer lors d'un révision/élaboration d'un PLU(I)
Lors de l’élaboration ou de la révision d’un plan local d’urbanisme communal ou intercommunal, l’autorité compétente pour délivrer des autorisations d’urbanisme peut suspendre temporairement l’examen d’une demande afin de ne pas compromettre l’exécution d’un document d’urbanisme en cours de réalisation : il s’agit du sursis à statuer.
Le sursis à statuer ne constitue ni une décision négative, ni une décision positive, il permet à l'administration de ne pas appliquer la règle en vigueur au moment où elle est saisie pour pouvoir appliquer plus tard la règle future, qui, le cas échéant, pourra interdire l'opération pourtant permise par les textes lorsqu'elle est envisagée.
Le cadre Juridique du sursis à statuer
Le code de l’urbanisme traite la question du sursis à statuer. Principalement deux articles que nous allons ici questionner et éclairer au regard notamment de la jurisprudence.
Article L.153-11 du code de l’urbanisme
« […] L'autorité compétente peut décider (1) de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l'article L.424-1, sur les demandes d'autorisation (2) concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan (3) dès lors qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durable. »
Le maire peut ou doit surseoir à statuer ?
La rédaction de cet article laisserait penser que l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme (le Maire ou le Président de l’EPCI en cas délégation) a le choix de sursoir à statuer ou pas. C’est le cas à première vue, mais le juge estime qu’à partir du moment ou le projet de nouveau document d’urbanisme est suffisamment avancé il a l’obligation de surseoir pour certains projets non conformes à ce dernier. Le contrôle de légalité ne manque pas de confronter les arrêtés accordant des autorisations d’urbanisme au document d’urbanisme en vigueur, ainsi qu’au document d’urbanisme en projet.
Un état d’avancement conséquent des études mais surtout de la phase administrative du futur document d’urbanisme impose alors de surseoir à statuer sur un projet clairement incompatible avec ce dernier. Aussi, à partir du débat du PADD, le sursis à statuer semble rester une possibilité devenant une obligation lorsque les contours précis des règles à venir se dessinent notamment après l’arrêt du projet. Dans le cas où l’autorité compétente souhaite envisager cette possibilité, le projet se doit d’être suffisamment avancé pour justifier d’un sursis à statuer : des objectifs clairs et non équivoques du PADD, un projet de traduction règlementaire rendu public voire une enquête publique déjà réalisée. Dans le cas contraire un sursis à statuer peut s’avérer illégal.
Sur quelles demandes surseoir ? La spécificité des certificats d’urbanisme (CU)
Le champ d’application du sursis à statuer comprend spécifiquement les autorisations d’urbanisme c’est-à-dire les déclarations préalables, les permis de construire, d’aménager et de démolir.
Les deux types de CU, a et b, cristallisent les règles d’urbanisme, les taxes et se prononcent (pour le CUb) sur la faisabilité d’un projet au regard des dispositions règlementaires et des servitudes d’utilité publiques applicables au moment de l’octroi pour une durée de dix-huit mois. Ils constituent une garantie contre le changement de réglementation. Ils ne constituent pas, par eux même, des autorisations d’occuper ou d’utiliser le sol. Dès lors, le sursis à statuer ne peut être applicable sur une demande de certificat d’urbanisme.
L’arrêté d’un CU doit comporter l’ensemble des règles d’urbanisme applicables. Mais dans un contexte d’élaboration/révision d’un PLU(i), celui-ci, doit également faire apparaître clairement une mention indiquant que l’autorisation d’urbanisme ultérieure, à laquelle sera préalablement soumis le projet, pourra faire l’objet d’un sursis à statuer en mentionnant que la tenue du débat sur le PADD du PLU(i) en cours d’élaboration/révision a ouvert cette possibilité.
Il a été jugé à plusieurs reprises que le sursis à statuer reste opposable au pétitionnaire alors même qu’aucune mention n’en a été faite dans le certificat d’urbanisme préalablement délivré. Cette situation, n’en demeure pas pour le moins risquée pour la commune dans le cadre d’un éventuel recours en plein contentieux (indemnitaire) dirigé contre l’auteur de l’acte. En effet cet oubli peut ainsi créer un préjudice pour le pétitionnaire. Afin que la commune puisse se prémunir de ce type de recours, notamment pour les CUb, il est nécessaire de faire apparaître la mention de la possibilité du sursis à statuer, ainsi que les fondements et motivations (compromettre ou rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan).
Comment apprécier la notion : « à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan » ?
Afin que soit légalement motivé un sursis à statuer il ne suffit pas, pour que l'exécution du futur plan soit compromise, que l'opération soit illégale au regard des règles futures, il faut également qu'elle ait une certaine importance. Ainsi, une décision de sursis à statuer doit être suffisamment motivée. Le juge confirme la nécessité pour une commune de justifier l'incidence du projet, dont elle a décidé le sursis.
Il s'agit, en effet, de concilier les pouvoirs donnés à la commune pour empêcher la réalisation des projets qui compromettraient la réalisation d'une politique d'urbanisme en cours d'élaboration avec les droits à la jouissance de leur propriété des particuliers désireux d'entreprendre des constructions sur le fondement des règles encore en vigueur.
La marge de manœuvre pour apprécier la notion de : « compromettre l’exécution du futur plan » est difficile à estimer. L’état d’avancement du projet de nouveau document d’urbanisme a une influence sur le juge. Son rôle est de contrôler dans quelle mesure les intentions de la collectivité compétente en matière de planification ont atteint un degré de précision de nature à justifier le sursis à statuer. Ainsi, le nombre de demandes d’autorisations d’urbanisme susceptibles de compromettre le futur plan vont en augmentant avec l’approche de l’approbation et du rendu exécutoire du futur document d’urbanisme. Le Conseil d’Etat estime par exemple qu’une simple villa avec piscine peut compromettre l’exécution du futur plan si le projet se situe dans une zone qui va devenir naturelle et inconstructible, la portée de cette décision étant à nuancer par le contexte géographique particulier de ce projet à proximité du rivage méditerranéen (Arrêt CAA de Marseille du 27 février 2018 (n° 16MA02030)). Plus récemment, la ville de Toulouse a fait les frais d’une appréciation sévère de la cour d’appel de Bordeaux, un étage supplémentaire pour un immeuble ayant été jugé comme de nature à compromettre l’exécution du futur plan (Arrêt Cour Administrative d’appel de Bordeaux du 30 novembre 2018 (n° 6BX01127)). Appréciation pouvant paraitre surprenante tant le projet semble insignifiant à l’échelle d’une commune marquée par la présence de nombreux immeubles d’habitation collectifs de toutes hauteurs. Il est à noter que ces deux décisions ont pour point commun un état d’avancement du projet de futur document d’urbanisme significatif puisqu’il était arrêté au moment de l’instruction des deux demandes d’autorisation d’urbanisme.
Pour sa part, la marge de manœuvre pour estimer la notion : « rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan » peut s’avérer plus facile à mobiliser, au regard à prévoir pour des réseaux ou des équipements non prévus par le futur plan mais également au regard de l’impact financier des projets de construction sur la gestion de certains risques naturels.
Enfin, il convient de préciser qu’un sursis à statuer ne peut être opposé à une demande d’autorisation d’urbanisme qu’en vertu d’orientations ou de règles que le futur PLU(i) pourrait légalement prévoir. Lorsqu’un recours est exercé contre le sursis à statuer, ce dernier peut être contesté au motif qu’une ou plusieurs règles du futur PLU(i) serait irrégulière et ce malgré le caractère non définitif de ce dernier qui peut théoriquement évoluer jusqu’à son approbation définitive.
Article L.424-1 du code de l’urbanisme
« L'autorité compétente se prononce par arrêté sur la demande (1) de permis ou, en cas d'opposition ou de prescriptions, sur la déclaration préalable.
Il peut être sursis à statuer sur toute demande d'autorisation concernant des travaux, constructions ou installations dans les cas prévus au 6° de l'article L.102-13 et aux articles L.153-11 et L.311-2 du présent code et par l'article L.331-6 du code de l'environnement.
[…]
Le sursis à statuer doit être motivé et ne peut excéder deux ans (2). L'autorité compétente ne peut, à l'expiration du délai de validité du sursis ordonné, opposer à une même demande d'autorisation un nouveau sursis fondé sur le même motif que le sursis initial. Si des motifs différents rendent possible l'intervention d'une décision de sursis à statuer par application d'une disposition législative autre que celle qui a servi de fondement au sursis initial, la durée totale des sursis ordonnés ne peut en aucun cas excéder trois ans. A l'expiration du délai de validité du sursis à statuer, une décision doit, sur simple confirmation par l'intéressé de sa demande, être prise par l'autorité compétente chargée de la délivrance de l'autorisation, dans le délai de deux mois suivant cette confirmation. Cette confirmation peut intervenir au plus tard deux mois après l'expiration du délai de validité du sursis à statuer. Une décision définitive doit alors être prise par l'autorité compétente pour la délivrance de l'autorisation, dans un délai de deux mois suivant cette confirmation. A défaut de notification de la décision dans ce dernier délai, l'autorisation est considérée comme accordée dans les termes où elle avait été demandée.
Lorsqu'une décision de sursis à statuer est intervenue, les propriétaires des terrains auxquels a été opposé le refus d'autorisation de construire ou d'utiliser le sol peuvent mettre en demeure la collectivité ou le service public qui a pris l'initiative du projet de procéder à l'acquisition de leur terrain (3) dans les conditions et délai mentionnés aux articles L.230-1 et suivants. »
Le contenu et la portée de l’arrêté
L’arrêté motivé portant sursis à statuer doit être opposé durant le délai d’instruction de la demande d’autorisation d’urbanisme. Pour rendre le sursis opposable, l’arrêté doit être transmis au préfet et publié par voie d’affichage en mairie.
Motiver un sursis à statuer qui dispose d’une durée limitée
Sur le fond, la motivation du sursis à statuer doit s’attacher à détailler dans quelle mesure la demande pourrait compromettre ou rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan, notion et appréciation détaillées précédemment. L’arrêté doit en outre mentionner la durée du sursis et la date à laquelle la demande d’autorisation d’urbanisme pourra être confirmée. L’arrêté du sursis peut indiquer une durée de validité maximale de deux ans.
A l'expiration du délai de validité du sursis, il n’appartient pas à l’autorité compétente de statuer d'office sur la demande initiale. Une confirmation par le pétitionnaire à l’origine de la demande d’autorisation d’urbanisme est nécessaire dans les deux mois. Si ce dernier ne confirme pas, la demande initiale tombe. S’il confirme, l’autorité compétente doit instruire la demande d’autorisation dans les deux mois suivant cette confirmation. A défaut de notification d'une décision dans ce délai, l'autorisation est considérée comme accordée. Il en est de même si l’intéressé confirme sa demande après annulation de la décision du sursis à statuer par le juge.
Si le nouveau document d’urbanisme est adopté durant la période de validité d’un sursis à statuer, ce dernier cesse de produire ses effets quelle que soit la durée du sursis indiquée dans l’arrêté. Le demandeur dispose, pour confirmer sa demande, d'un délai qui court à compter de la date de l'approbation du nouveau PLU(i) et s'achève deux mois après l'expiration du délai qui lui avait été indiqué.
Dans cette hypothèse la demande est instruite sur le fondement du nouveau PLU(i) (refus si la demande n’est pas conforme et/ou compatible avec le nouveau document).
Si le PLU(i) n’est pas adopté durant la période de validité d’un sursis à statuer, dès lors que la décision de sursis indiquait la durée du sursis et le délai dans lequel le demandeur pouvait confirmer sa demande, ce dernier dispose d'un délai de deux mois à compter de l'expiration du délai de validité du sursis pour confirmer sa demande.
Dans cette hypothèse, la demande ne peut être instruite sur le fondement du PLU(i) en cours d’élaboration/révision mais sur celui du document d’urbanisme opposable (ou du Règlement National d’Urbanisme : RNU, en l’absence de document d’urbanisme).
La possibilité d’opposer à une même demande d'autorisation un nouveau sursis fondé sur un autre motif que le sursis initial, portant ainsi la durée de validité du sursis à trois ans maximums est une possibilité ouverte par le code de l’urbanisme.
L’application du droit de délaissement
La mise en demeure de procéder à l'acquisition d'un terrain bâti ou non peut être adressée par le propriétaire à la mairie de la commune où se situe le bien dont la demande d’autorisation d’urbanisme est suspendue. Il s’agit du même droit de délaissement s’appliquant aux terrains impactés par un emplacement réservé mis en place par un document d’urbanisme dont la procédure est détaillée dans les articles L.230-1 à L.230-6 du code de l’urbanisme.
Le cas particulier de l’effet du CU en cours de validité une fois le PLU(i) rendu exécutoire
Pendant un temps, il a été possible d’éviter un sursis à statuer en déposant une demande de CU à un stade avancé de la procédure d’élaboration ou d’évolution d’un document d’urbanisme. Le pétitionnaire pouvait alors obtenir un accord sur une demande d’autorisation d’urbanisme après rendu exécutoire du nouveau document d’urbanisme en se fondant sur un CU encore en vigueur mais accordé sur les bases de l’ancien document d’urbanisme. Cette dérive courante a été questionnée par le Conseil d’Etat qui est venu préciser le contour des effets conjugués de la cristallisation du certificat d’urbanisme en rapport avec les conditions du sursis à statuer (Arrêt CE du 18 décembre 2017 (n° 380438)).
Il résulte de l’application de la jurisprudence que les effets protecteurs du CU sont annihilés par ceux du sursis à statuer s’il avait dû être opposé. Dans la mesure ou une demande d’autorisation d’urbanisme est déposée postérieurement à l’adoption du nouveau document d’urbanisme, le demandeur se prévalant par ailleurs des effets d’un CU préalablement obtenu en cours de validité, la règlementation applicable pour cette demande sera celle du nouveau document si à la date de l’octroi du CU, une demande d’autorisation d’urbanisme (déclarations préalables, permis de construire, d’aménager et de démolir) aurait dû faire l’objet d’un sursis à statuer.
En pratique, après l’approbation du PLU(i), le service instructeur devra donc contrôler si la demande d’autorisation d’urbanisme déposée sous couvert d’un CU, aurait pu rentrer dans les conditions d’application du sursis à statuer au moment de son octroi.
Il est difficile de définir une trame exacte pour répondre avec certitude et par anticipation sur les demandes d’autorisations d’urbanisme auxquelles il conviendrait de surseoir à statuer. Les différents projets se présentant doivent être évalués au cas par cas selon leur importance et selon l’état d’avancement de l’élaboration/révision du PLU(i). Ainsi, l’éventualité d’opposer un sursis à statuer à une autorisation d’urbanisme doit s’appuyer sur des motivations non équivoques.
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