Le nouveau droit des concessions (Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 et Décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession)
Contrairement aux directives relatives aux marchés publics (2014/24/UE et 2014/25/UE), qui se contentent de moderniser un régime juridique désormais bien établi, le nouveau droit européen des concessions dessine un cadre juridique inédit et commun à tous les contrats de type concessif (directive 2014/23/UE du 26 février 2014). En effet, s'il ne s'était jusqu'alors intéressé qu'aux concessions de travaux, il englobe à présent les services.
Guidée par un objectif d'harmonisation des règles de l'ensemble des pays membres de l'Union en la matière, cette nouvelle règlementation démontre une volonté de développer un marché des concessions à l'échelle européenne, qui représente plusieurs dizaines de milliards d'euros par an d'opportunités économiques pour les entreprises.
Le droit français connaissait quant à lui depuis longtemps déjà le modèle concessif, qui a permis la réalisation d'une grande partie des infrastructures du pays. Mais par l'effet de la transposition de la nouvelle directive, son champ se trouve élargi aux contrats portant sur les services non qualifiés de services publics, qu'aucune règle nationale n'encadrait jusqu'à présent.
Pour la première fois, tant le droit européen que le droit français envisagent donc de manière globale l'ensemble des contrats reposant sur une logique concessive.
Leur passation se rapproche de celle des marchés publics même si certaines singularités demeurent, fondées sur l'économie générale de cette catégorie de contrats qui fait assumer le risque économique au cocontractant.
Enfin, leur contenu et leur exécution se trouvent plus encadrés que par le passé.
Une unification du régime de toutes les concessions
- Le nouveau droit français des concessions, issu de l'ordonnance du 29 janvier (n° 2016-65) et de son décret d'application du 1er février (n° 2016-86), entrera en vigueur au 1er avril prochain.
- Il a pour premier mérite d'unifier des règles auparavant éclatées dans une multitude de textes : loi Sapin du 29 janvier 1993 codifiée aux articles L. 1411-1 et suivants du code général des collectivités territoriales (CGCT) concernant les délégations de service public (DSP), ordonnance du 15 juillet 2009 codifiée aux articles L. 1415-1 et suivants du même code relatives aux concessions de travaux publics, dispositions du code de l'urbanisme concernant les concessions d'aménagement, dispositions du code de l'énergie sur les concessions de distribution d'électricité dispositions du code du tourisme relatives aux concessions de remontées mécaniques, dispositions du code de la voirie routière concernant les concessions d'autoroute, etc.
La catégorie des DSP perdure certes, mais leur passation obéira désormais à des règles identiques à celles des concessions de travaux ainsi que des concessions de services qui ne sont pas des services publics (voir ci-dessous).
Il faut au passage souligner que les « concessions de service public » désigneront à présent tant les DSP qui confient au cocontractant les investissements nécessaires à l'exploitation de l'activité de service public, c'est-à-dire les concessions au sens traditionnel, que celles qui ne confient que la gestion de cette activité, c'est-à-dire les affermages
Le nouveau régime des concessions accueille de plus les concessions de services n'ayant pas pour objet l'exploitation d'un service public. Elles n'étaient jusqu'alors soumises, et encore seulement pour celles qui présentaient un intérêt transfrontalier, qu'aux principes d'égalité de traitement, de transparence et de non discrimination (CJCE, 7 déc. 2000, aff. C-324/98, Telaustria).
Pour illustrer cette dernière catégorie, probablement appelée à demeurer résiduelle, on peut penser que les contrats dans lesquels le prestataire se rémunère par la perception de recettes publicitaires (ex.: contrats d'édition, contrats de mobilier urbain), jusqu'à présent analysés comme des marchés publics, seront maintenant rangés parmi les concessions de services, sans pour autant que le service confié au cocontractant ne soit considéré comme un service public.
Enfin, si l'ordonnance écarte l'application des règles de passation qu'elle prévoit pour les contrats passés dans certains secteurs d'activités, ces derniers n'en demeurent pas moins des concessions.
Seront par exemple dispensées de mise en concurrence les concessions de réseaux de communications électroniques (art. 13-12° de l'ordonnance), ou celles portant sur certains services juridiques, notamment les services d'authentification assurés par les notaires (art. 13-8° de l'ordonnance).
Au contraire, et malgré une exclusion par la directive, seront bien soumises à l'ordonnance les concessions destinées à confier l'exploitation d'un réseau d'eau potable (art. 11-3° de l'ordonnance).
Même si certaines particularités demeurent, l'ensemble des contrats de type concessif connaît donc à présent un corpus de règles communes.
- Cette unification du régime des concessions aboutit à polariser le droit des contrats de la commande publique autour de la distinction marchés publics / concessions.
Le critère déterminant qui trace la frontière entre ces deux catégories de contrats repose sur la notion de risque économique.
Loin d'être une innovation, ce critère préexistait dans la jurisprudence européenne (CJCE, 13 nov. 2008, aff. C-437/07, Commission c/ Italie) comme dans celle du juge administratif national (CE, 7 nov. 2008, n° 291794, Dpt Vendée).
Il est désormais consacré à l'article 5 de l'ordonnance, selon lequel les concessions sont les contrats par lesquels les autorités concédantes confient l'exécution de travaux ou la gestion d'un service à un opérateur économique auquel est transféré le risque d'exploitation de l'ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d'exploiter l'ouvrage ou le service, soit de ce droit assorti d'un prix.
Les éléments d'appréciation de ce risque sont d'ailleurs précisés par l'ordonnance. D'une part, pour qu'il y ait transfert du risque d'exploitation au cocontractant, il faut que ce dernier ne soit « pas assuré d'amortir les investissements et les coûts qu'il a supportés ». D'autre part, le risque assumé par l'opérateur économique doit impliquer « une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement nominale ou négligeable ».
Des règles de passation proches de celles des marchés publics
- Avant d'en venir au rapprochement entre les règles de passation des concessions et celles des marchés publics, soulignons qu'en matière de passation aussi, l'unification est à l'œuvre.
Des règles de passation identiques seront ainsi applicables pour les concessions de services et les concessions de travaux.
Par ailleurs, les DSP ne connaîtront plus à proprement parler de règles de passation spécifiques, le nouvel article R. 1411-1 du CGCT se contentant de renvoyer à la procédure générale de passation des concessions prévue par l'ordonnance.
Seules seront maintenues certaines spécificités procédurales tenant à la qualification de service public des services concédés, en particulier les consultations préalables obligatoires (comité technique, commission consultative des services publics locaux), la nécessité d'une délibération sur le principe de la délégation avant le lancement de la procédure, ou encore l'intervention de la commission d'ouverture des plis.
- Ceci étant posé, le premier élément de similarité avec le droit des marchés publics réside dans la soumission des concessions aux principes fondamentaux de la commande publique que sont la liberté d'accès à la commande publique, l'égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures de passation (art. 1er I de l'ordonnance).
Par ailleurs, et de même qu'en matière de marchés publics, la passation des concessions s'organisera autour du seuil européen, qui est en l'occurrence unique que le contrat concerne des services ou des travaux.
Au-dessus du seuil de 5 225 000 € HT s'appliquera une procédure formalisée tandis qu'en-deçà, les concessions bénéficieront d'une procédure dite simplifiée ou allégée (art. 9 et 10 du décret).
Au-delà de cela, les exemples du rapprochement avec les règles de passation des marchés publics sont nombreux: obligation de définir préalablement ses besoins en prenant en compte des objectifs de développement durable (art. 27 de l'ordonnance), possibilité de constituer des groupements de commandes entre autorités concédantes (art. 26 de l'ordonnance), obligation de respecter des délais impératifs pour la remise des candidatures et des offres (art. 18 du décret), dématérialisation (art. 17 du décret), obligation d'informer les candidats non retenus et de respecter un délai entre cette information et la signature du contrat (art. 29 du décret), etc.
Enfin, dernière similitude à signaler, la consécration, dans les mêmes termes que pour les marchés, des exceptions à la mise en concurrence liées à des situations de quaisi-régie (art. 16 de l'ordonnance) ou dans le cadre de coopérations public-public (art. 17 de l'ordonnance).
- La similarité n'est toutefois pas totale : les concessions, de par leur économie générale, conserveront une certaine singularité.
Ainsi, une négociation pourra librement être menée par les autorités concédantes avec un ou plusieurs candidats, que l'on se trouve en procédure formalisée ou en procédure allégée (art. 46 de l'ordonnance).
De même, les critères de choix des offres auront seulement à être hiérarchisés et non à être pondérés (art. 27 du décret).
Enfin, on peut noter que le contrat de concession sera attribué non à « l'offre économiquement la plus avantageuse », mais à la « meilleure offre au regard de l'avantage économique global pour l'autorité concédante » (art. 47 de l'ordonnance), sans que l'on ne soit encore à même de déterminer dans quelle mesure cette différence de rédaction recouvre une réalité juridique différente.
Un contenu et une exécution plus encadrés
- Pour ce qui concerne la durée des contrats de concession, l'ordonnance et le décret n'apportent pas de changement notable par rapport aux règles qui prévalaient jusqu'alors pour les contrats de DSP (art. L. 1411-2 du CGCT, tel qu'interprété notamment par l'arrêt: CE, 11 août 2009, n° 303517, Sté Maison Comba).
La durée d'une concession doit être fixée dans le contrat et elle est déterminée en prenant en compte la nature des prestations et le montant des prestations ou des investissements mis à la charge du concessionnaire (art. 34 de l'ordonnance).
A ce titre, la notion d'investissement est toutefois entendue dans un sens large puisqu'elle comprend « les investissements initiaux ainsi que ceux devant être réalisés pendant la durée du contrat de concession, nécessaires pour l'exploitation des travaux ou des services concédés. Sont notamment considérés comme tels les travaux de renouvellement, les dépenses liées aux infrastructures, aux droits d'auteur, aux brevets, aux équipements, à la logistique, au recrutement et à la formation du personnel » (art. 6 I du décret).
S'agissant des contrats d'une durée supérieure à 5 ans, leur durée ne doit pas excéder « le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu'il amortisse les investissements réalisés pour l'exploitation des ouvrages ou services avec un retour sur les capitaux investis, compte tenu des investissements nécessaires à l'exécution du contrat » (art. 6 II du décret).
Enfin, est maintenue l'interdiction de conclure des concessions de plus de 20 ans dans certains secteurs (eau potable, assainissement, déchets), sauf examen préalable du Directeur départemental des finances publiques (art. 34 de l'ordonnance).
- Plus innovantes sont les dispositions de l'ordonnance relatives à l'occupation du domaine public par le concessionnaire (art. 50 de l'ordonnance).
Il est ainsi prévu que lorsque le contrat de concession emporte occupation de ce domaine, « il vaut autorisation d'occupation (…) pour sa durée ».
Mais surtout, si le contrat le prévoit, le concessionnaire dispose de droits réels sur les ouvrages et équipements qu'il réalise, « dans les conditions et les limites définies par les clauses du contrat ».
Est-ce à dire que l'on pourra désormais consentir des droits réels sur le domaine public en dehors du régime des baux emphytéotiques administratifs et des autorisations d'occupation temporaire constitutives de droits réels ?
- Enfin, sont encadrées les modifications qui peuvent être apportées aux contrats de concession au cours de leur exécution.
En l'occurrence, ces règles sont identiques à celles applicables aux marchés publics.
Jusqu'alors, il était prohibé d'apporter des modifications substantielles par avenant aux concessions. En outre, la faculté de prolonger la durée des DSP était limitée à certaines hypothèses, telle celle dans laquelle « le délégataire [était] contraint, à la demande du délégant, de réaliser des investissements matériels non prévus au contrat initial de nature à modifier l'économie générale de la délégation et qui ne [pouvaient] être amortis pendant la durée de la convention restant à courir que par une augmentation de prix manifestement excessive » (art. L. 1411-2 du CGCT).
A présent, il sera possible de modifier un contrat de concession dès lors notamment que l'on ne franchit pas le seuil européen de passation et que l'avenant n'entraîne pas une augmentation du montant initial du contrat de plus de 10% (art. 36 du décret).
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Auteur :
Arnaud DA SILVA, Chef du service juridique
Paru dans :
ATD Actualité n°256
Date :
1 février 2016